Art et Foires : Entre coûts en hausses et visibilité, quel future pour les galleries ?

Au-delà du glamour des voyages internationaux et des opportunités de visibilité accrue, les foires d'art deviennent une opération commerciale de plus en plus coûteuse pour la majorité des galeries et marchands d’art, qui rapportent marges et profits de plus en plus réduits ces dernières années. En nous appuyant sur les derniers chiffres issus de Art Economics et des institutions, nous analysons en profondeur ce modèle, en examinant notamment ce que l’augmentation des coûts implique pour les petites structures et les spécialistes des arts africains sur le marché. Comment s’adaptent-ils pour mieux rebondir tout en protégeant à la fois artistes et activité ?

Art Brussels, EXPO Chicago, TEFAF New York, 1-54 New York, Photo London Art Basel, et Art Basel Africa ce printemps, est animé par un calendrier de foires d'art toujours plus actif, les foires restant un canal privilégié pour découvrir de nouveaux artistes et le plus prisé pour les échanges commerciaux après les visites en galeries. Cependant, dans un contexte d'économie inflationniste et de coûts croissants, quels sont les défis rencontrés et le modèle nécessite-t-il une réévaluation ?

Art Paris 2025, Mayì-Arts

Fermetures, baisse du nombre de foires

Alors que le marché semble atteindre une nouvelle normalité après les perturbations post-2020, le calendrier mondial des foires d'art raconte une histoire de résilience, mais aussi de contraction. Bien que l'industrie ait connu un rebond des événements physiques après la pandémie, 2024 a marqué un nouveau bas : seulement 336 foires d'art ont eu lieu dans le monde, contre 407 en 2019, soit le chiffre le plus bas depuis 2021. Cependant, derrière ces chiffres se cache une équation complexe de coûts, d'accès et d'évolution du comportement du marché. Au cours des cinq dernières années, 129 foires ont cessé leurs activités, tandis que seulement 39 nouveaux événements ont émergé à leur place, dont deux en 2024 : Mira en France et Paper Positions à Vienne, tandis que 31 autres ont disparu, y compris des noms respectés comme Masterpiece London, Outsider Art Fair Paris, et Art Beijing. Les pertes ont été particulièrement concentrées en Europe, longtemps considérée comme le centre névralgique de l'écosystème mondial des foires d'art, qui représentait encore 54 % des foires mondiales.

Qu'est-ce que cela signifie pour les galeries qui dépendent des foires pour leur visibilité, leurs ventes, et leurs relations avec de nouveaux collectionneurs ?

Coût vs Opportunité : Les gagnants prennent tout ?

Les foires d'art demeurent un canal crucial de ventes pour la visibilité, le maintien de l'autorité et les opportunités de nouveaux clients, en particulier pour les marchands à fort chiffre d'affaires. En 2024, les marchands et galleries réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 10 millions de dollars ont attribué 34 % de leurs ventes aux foires, contre 2023. Mais pour les galeries plus petites, l'augmentation des coûts crée un scénario décisif. Les frais de stand, l'expédition, les voyages, le marketing et l'hospitalité ont considérablement augmenté, obligeant de nombreuses galeries à réévaluer leur participation. Certaines rapportent avoir modifié leur programmation ou leur représentation d'artistes simplement pour couvrir les frais. En 2024, 31 % des marchands ont exposé à moins de foires que l'année précédente, un bond important par rapport à 19 % en 2023, ce qui met en lumière une stratégie très ciblée en matière de participation. "Même les foires les mieux réputées sont devenues trop chères pour une petite galerie avant-gardiste qui n’est pas soutenue par des mécènes riches", a noté un marchand.

Pour les galeries de taille moyenne et émergentes, la rentabilité des foires ressemble de plus en plus à un pari. Malgré des coûts vertigineux — incluant l'hospitalité, l'expédition, et le marketing — qui affectent les marges bénéficiaires, les galeries exposant dans les foires affirment ne pas avoir le choix que d'assister à plusieurs événements pour maintenir leur visibilité auprès des clients, puisque la distribution des collectionneurs s'est élargie au fil des années et que ces derniers deviennent de plus en plus sélectifs quant à la foire à laquelle ils assistent. La plupart des galeries spécialisées dans l'art africain et de l'hémisphère sud font partie de cette catégorie, devant naviguer entre une implantation stratégique dans des foires de premier plan ou spécialisées, et risques calculés lorsqu'elles entrent sur de nouveaux territoires. En fait, on observe de plus en plus de galeries et de marchands explorant des foires éloignées du circuit traditionnel des foires d'art africaines (cf. TEFAF Maastricht, Drawing Now, EXPO Chicago, ARCO Madrid, ZSONAMACO, etc.).

TEFAF Maastricht 2025, TEFETA Gallery

La plupart des galeries spécialisées dans l’art africain et de l’hémisphère sud font partie de cette catégorie, devant naviguer entre une implantation stratégique dans des foires de premier plan ou spécialisées, et des risques calculés lorsqu’elles entrent sur de nouveaux territoires.

Timing des ventes et habitudes de marché : naviguer entre calendrier saturé et fatigue généralisée

La majorité des ventes lors des foires se réalisent encore durant l’événement lui-même (en moyenne 70 %), cependant, les ventes avant et après la foire gagnent en importance, en particulier pour les grands marchands et galleries qui dépendent de plus en plus des pré-ventes pour amortir les risques, tandis que les plus petites galeries rapportent que les suivis après la foire sont leur meilleure chance de conclure des affaires. La foire elle-même est souvent juste le début d'un processus de construction de relations plus longues. Fait intéressant, les marchands et galleries travaillant avec des artistes plus jeunes ou politiquement engagés affirment que les grandes foires ne sont pas toujours leurs lieux les plus bénéfiques. L'image et le prestige de la participation comptent encore, mais ne sont pas nécessairement gage de retour sur investissement, comme en témoignent certains qui gagnent en visibilité tout en perdant de l'argent dans un paradoxe ubuesque.

Un défi émergent est la densité même du calendrier. Au moment où nous écrivons cette analyse, pas moins de 24 foires sont programmées au cours des huit prochaines semaines menant à Art Basel, dont Art Brussels, EXPO Chicago, TEFAF New York, 1-54 New York, Photo London, Volta et Art Basel Africa. Ce modèle "toujours actif" aurait un impact important sur la prise de décision en matière de participation, car les foires sont souvent programmées trop rapprochées les unes des autres, ne laissant que peu de place pour que le marché ou leurs artistes puissent se reposer. La répétition des œuvres, la fatigue des collectionneurs et la réduction de l’urgence d’acheter ne sont que quelques-unes des conséquences. L'intentionnalité pourrait jouer un rôle crucial dans un avenir proche afin de restaurer le sentiment de privilège pour les collectionneurs et les visiteurs tout en permettant aux artistes de se remettre et de produire à un rythme plus fluide.

Ce modèle “toujours actif” aurait un impact important sur la prise de décision en matière de participation, car les foires sont souvent programmées trop rapprochées les unes des autres, ne laissant que peu de place pour que le marché ou leurs artistes puissent se reposer.

Imaginer un modèle plus équitable

Après avoir vécu la pandémie et observé un marché nuancé, plusieurs marchands et galleries ont appelé à une innovation structurelle : du partage des bénéfices sur les ventes de billets à des subventions pour les petites galeries, voire un modèle de participation basé sur un pourcentage. Nous avons également observé des galeries unissant leurs forces et partageant des stands lors de foires récentes. Le pconstaterception est que, bien que les foires continuent de croître en importance, elles imposent tout le fardeau financier et promotionnel aux galeries, sans évoluer en termes de format, d'accessibilité ou d'engagement des collectionneurs. La plupart des budgets reposent sur les épaules des galeries et des exposants qui investissent sur l'espace, promotion et hospitalité, et ce, même avant de vendre, ce qui en fait un ticket d'entrée coûteux, surtout dans une économie en pleine inflation. Cependant, aussi crucial que soit l'accès aux foires pour les affaires, la plupart des galeries prévoient un nombre similaire de participations en 2025.

Le constat est que, bien que les foires continuent de croître en importance, elles imposent tout le fardeau financier et promotionnel aux galeries, sans évoluer en termes de format, d’accessibilité ou d’engagement des collectionneurs.

Vers l'avenir

Les foires d'art ne vont pas disparaître, cependant leur modèle demeure de plus en plus examinés. Reste que pour l'instant, les marchands d’art et galleristes restent sur la corde raide entre visibilité et viabilité. La question reste ouverte : ce modèle pourra-t-il continuer à soutenir les petites et moyennes galeries, ou un nouveau format, comme la foire-boutique où l'intentionnalité est au cœur, est-il nécessaire ?

Cependant, quand avons-nous le temps de réfléchir dans un écosystème toujours actif ?


Sources : Artfairmag, Art Economics, Mayi Arts,

Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com