Christophe PERSON : “La passion est essentielle”, Stratégies et dynamiques actuelles du marché de l'art africain"

Située dans une rue calme du vibrant quartier du Marais à Paris, la galerie Christophe PERSON se présente comme un écrin consacré aux œuvres d’art, guidé par une vision précise entre recit et esthétique. Christophe Person, galeriste et Président co-fondateur de la BISO Biennale, s’attache à promouvoir l’art africain contemporain tout en explorant les nuances d’un marché qu’il perçoit en transition vers une phase de stabilisation, après une décennie d’intenses bouleversements. Dans un échange enrichissant avec MAYÌ ARTS, Christophe PERSON dévoile sa perspective sur l’évolution de l’art africain et sur les clés d’une collection réussie.

Ngalula MAFWATA : Comment débute votre relation avec l’Art venu d’Afrique ?

Christophe PERSON : J’ai débuté dans l’Art africain il y a environ une dizaine d’années, après un parcours classique en finance. C’est à Londres et suite une formation entreprise avec Christie’s que s’est entamé mon parcours dans l’Art. Je me suis intéressé à l’histoire de l’Art dans sa globalité ainsi qu’au marché de l’art, et j’ai rapidement pressenti l’émergence imminente de l’Art africain. En 2016, de retour en France, j’ai créé le département d’Art africain chez PIASA, à un moment où cette catégorie commençait à susciter un fort engouement, phénomène qui n’a cessé de croître depuis. Ma vision chez PIASA était de faire intégrer l’Art contemporain africain dans des collections généralistes. J’avais la conviction que, par le passé, les collectionneurs d’Art africain formaient une niche, et que beaucoup achetaient ces œuvres davantage par affection pour l’Afrique et par enjeu de development que par un véritable goût ou une connaissance de l’Art en tant que tel. J’ai trouvé intéressant de prendre une approche différente, c’est à dire convaincre les collectionneurs de calibre qu’il s’agissait avant tout d’une catégorie importante à faire entrer dans leur collection généraliste. Après un passage chez Artcurial, j’ai finalement décidé de prendre mon envol en ouvrant cette galerie, il y a maintenant deux ans, en décembre 2022.

Ngalula MAFWATA : Il fallait un certain flair finalement pour pressentir cette arrivée. Selon vous faut-il sortir de ce carcan Art Contemporain Africain ou au contraire s’en servir comme levier géographique pour regrouper ce mouvement ?

Christophe PERSON : Quand on regarde l’histoire de l’Art on se rend compte que les choses évoluent. Tout comme notre manière de voir les choses. Dans le partie création, production des artistes mais également dans la manière dont nous marketons les choses. Il ne faut pas nécéssairement dire que ce qui a été fait dans le passé n’est pas bien, c’est une dynamique d’ensemble et personne n’a la boule de crystal pour prédire réellement ce qu’il se fera dans les dix prochaines années. Chacun s’oriente selon ses feelings et j’ai la conviction qu’après cette dizaine d’années d’euphorie, les choses vont se stabiliser un peu. On a connu quelques inconvénients également par exemple certains artistes ont été tellement en demande qu’il y a eu cette tentation de se copier les uns les autres, pour répondre à la demande du marché or c’est le contraire de ce qu’il faut faire. Il faut comprendre que les collectionneurs sont toujours à la recherche de la nouveauté. C’est ce que l’on laisse comprendre aux artistes qui par ailleurs sont loin de la demande, car cette dernière est principalement occidentale. L’idée de se dire en tant qu’artiste qu’il faut s’engouffrer dans ce qui a l’air de fonctionner sur le moment, est une très mauvaise idée. Trouver de l’inspiration au fond de soi reste authentique d’autant plus que les artistes africains en particulier ont une histoire très riche - individuelle et collective - et c’est cette histoire qu’il est intéressant de raconter plutôt que de produire des oeuvres qui vont plaire au marché aujourd’hui car demain, après demain tout peut changer. 

C’est d’ailleurs là la difficulté de ce marché qui est particulièrement dynamique mais je reste convaincu qu’il faut toujours faire ce en quoi l’on croit et non faire les choses pour plaire.

Ngalula MAFWATA : Pourquoi débuter sa collection ?

Christophe PERSON : Selon moi c’est une démarche très personnelle. Bien souvent on collectionne car à travers une oeuvre, on se trouve une connexion personnelle avec l’artiste. Au même titre que l’on peut apprécier, la musique, le cinéma, le théâtre, la littérature, tous les arts qui suscitent une émotion, je pense que les arts visuels - la peinture, la sculpture, le dessin, la photographie ont le même effet. À côté des dimensions spéculatives, je pense qu’il faut réellement s’intéresser à l’art de ce qu’il suscite de l’émotion et c’est ce que beaucoup de collectionneurs font heureusement. 

Ngalula MAFWATA : Quels sont les premiers pas entreprendre pour se lancer ?

Christophe PERSON : Se lancer dans une collection est un projet de vie, se faire accompagner par des galerie est un bon premier pas pour affiner ses choix, goûts. L’idée est de travailler conjointement avec des gxleriestes afin de constituer une collection à son image et que l’on va venir développer au fil du temps. 

Ngalula MAFWATA : Peut-on envisager la même approche lorsque l’on parle des artistes émergeant ?

Christophe PERSON : Le coup de coeur est un facteur important quand on commence. Quand on a le jet d’acheter une à deux pièces par an, il faut acheter ce qui nous plaît avant tout. Les collectionneurs boulimiques eux vont avoir une approche plus réfléchie, pour essayer de comprendre comment un artiste ou une oeuvre s’inscrit dans sa collection. Il va y avoir des artistes qui répondent à une demande de collectionneur, un thème précis. Par exemple, il y a des collectionneurs qui vont s’intéresser en particulier au figuratif, d’autres le conceptuel qui n’est plus du tout dans la recherche esthétique mais davantage conceptuelle et vont donc se tourner vers cette catégorie d’artistes qui parviennent à véhiculer des messages de manière originale. Toutes les approches existent et il faut les respecter. C'est vrai, plus on dispose de moyens, plus on cherche à se renseigner et à s'assurer que les œuvres s'inscrivent dans une certaine continuité historique, non pas nécessairement dans un but spéculatif, mais avec la conviction d'avoir trouvé, à un moment donné, une œuvre qui est pertinente pour la période où elle a été créée.

Ngalula MAFWATA : Aujourd’hui, on peut avoir l’impression que l’Art Contemporain attire de nouvelles foules mais dispose toujours de ce cachet intimidant. Comment aller à la rencontre de l’art en dehors des galeries ?

Christophe PERSON : C’est dommage, le terme Art Contemporain est quelque peu intimidant car on l’associe à un certain nombre d’excès tant au niveau des oeuvres que de sa population qui le suit. Il faut reprendre le terme pour sa définition propre, l’art contemporain est tout simplement l’art qui est crée aujourd’hui et qui donc nous donne accès à la réalité de l’artiste derrière l’oeuvre qui peut être totalement différente de la notre en fonction de là où il vit, son milieu social, son environnement. Finalement regarder une oeuvre, c'est comme encapsuler le moment présent.

Ngalula MAFWATA : Certaines formes d’art semblent prendre de l’espace comme le Black Portraits, le figuratif 

Christophe PERSON : Le black portrait a été une grande révolution. On peut comprendre que ça ait plu au marché car finalement, les collectionneurs avaient l’habitude de voir des personnes noires représentées sur des oeuvres depuis longtemps mais qui étaient toujours représentées par des artistes blancs. Ils les représentaient de manières très exotiques d’où le terme art orientaliste car cela répondait à une sorte de fantasme. Il y a une dizaine d’année les choses ont pris un nouveau tournant avec bon nombre d’artistes qui ont cherché à se représenter et présenter donc sous un regard radicalement différent leur identité. À chaque fois qu’arrive dans l’écosystème de l’art quelque chose de nouveau, cela interpelle toujours et donc les premiers sont souvent les meilleurs. Les artistes qui lancent un mouvement sont bien souvent les meilleurs et ceux qui vont arriver plus tard seront moins bon. Mais toujours est-il qu’il y eu cette profusion qui a interpellé et séduit le regard. Je pense qu’aujourd’hui tout cela va se calmer, les artistes et les galeristes en sont conscient d’ailleurs.

Ngalula MAFWATA : Cela signifie-t-il que d’autres tendances vont être davantage mis en lumière ?

Christophe PERSON : C’est difficile de prédire ce qui va émerger, je pense que le textile est assez important. On voit également qu’il peut y avoir des liens entre l’artisanat et art car l’artisanat est très présent sur le continent. Certaines personnes en Afrique qui font de l’artisanat sont en capacité de venir puiser dans leur métier et d’en sortir quelque chose d’exceptionnel. La question des motifs est très importante en Afrique et a été traitée en arrière plan, dans le sens propre et figuré. On a vu beaucoup de ces artistes à la mode, faire des personages sur des fonds imprimés, géométriques, finalement ce que je vois avec le travail d’un artiste comme Paul NDEMA par exemple c’est ce motif qui est très important en Afrique et signifiant qui se dit que plutôt que de le mettre en arrière plan, je vais le mettre au premier plan et voir si il raconte quelque chose. Nous on aurait tendance à l’associer à de l’Art abstrait en référence à ce que l’on connait déjà or il nous faut peut perte trouver une autre dénomination, actuelle car l’idée de Paul NDEMA n’est pas de faire de l’art abstrait mais c’en est le résultat. 

Ngalula MAFWATA : Pensez-vous que la critique d'art joue encore un rôle essentiel dans la compréhension et la valorisation du travail des artistes aujourd'hui ?

Christophe PERSON : Nous vivons à une époque marquée par l’image et l’éphémère, ce qui relègue malheureusement la critique d’art au second plan, alors qu’elle est essentielle pour comprendre le travail d’un artiste et identifier les mouvements contemporains. Il est crucial que des personnes prennent le temps de réfléchir et d’écrire sur ces artistes. C’est un élément nécessaire, peut-être même insuffisant à l’heure actuelle, surtout si l’on pense à la postérité. Il y a la production, la création immédiate, et quelques années plus tard, on revisite ces œuvres, c’est alors qu’on commence à trier ce qui demeure pertinent. Je suis convaincu que ce processus se mettra en place, mais il faut allouer des ressources pour cela, car cela ne se fera pas tout seul.

Ngalula MAFWATA : Cela favorise-il les carrières courtes voire éphémère ?

Christophe PERSON : Le marché reste soumis aux aléas économiques, nous étions dans une période favorable à l’art et donc tous les arts ont bénéficié de cet engouement dont l’art africain et aujourd’hui nous sommes sur un ralentissement. En période d’euphorie les gens sont très enthousiastes à l’idée d’acquérir des images tandis qu’aujourd’hui, le discours de l’artiste va beaucoup plus compter. Et je rajouterais, selon mon point de vue, il y a une demande pour des artistes ayant un fort potentiel de développement. On ne peut pas refaire la même chose pendant trente ans, c’est là que va se faire la différence entre les artistes qui ont su faire quelque chose d’intéressant ces cinq dernière années et qui vont évoluer et ont un potentiel de continuer de se développer et ce n’est pas donné à tout le monde. 

Ngalula MAFWATA : La resurgence des activités en ligne ont également ajouté une nouvelle dimension au marché, quel en est votre appréhension ?

Christophe PERSON : Aujourd’hui, il existe trois principaux canaux de vente. La galerie reste le lieu par excellence pour montrer l'ampleur du travail d'un artiste ou d'une exposition collective. C’est un espace où l’on peut prendre le temps de créer des catalogues riches, accompagnés de portraits d’artistes. Même si les ventes en galerie ne sont pas toujours au rendez-vous, c’est ici que l’essentiel du travail se réalise le mieux. Les foires, quant à elles, sont plus intenses et offrent l’opportunité de rencontrer des personnes qu’on ne croise pas forcément en galerie, ce qui enrichit le carnet d’adresses. Cependant, l’expérience de la foire peut être assez écrasante, un peu comme un supermarché de l’art, avec toute une accumulation d’œuvres, et une compétition féroce. En ce qui concerne le digital, l’idée de simplement “poster” n’est pas suffisante. Ce n’est pas totalement gratuit : pour que cela fonctionne, il faut investir du temps, des ressources et travailler sérieusement. En tant que galeriste, le véritable défi réside dans la gestion de l’énergie et des ressources, en sachant qu’il faut être présent sur tous ces fronts.

Ngalula MAFWATA : Aussi, de nombreux artistes adoptent également un rôle entrepreneurial en gérant eux-mêmes leurs relations en ligne. Quelle est votre perception de ces nouvelles dynamiques, où les interactions entre artistes et collectionneurs s’opèrent parfois directement ?

Christophe PERSON : Je pense que, aussi talentueux soit-il, un artiste rencontre des difficultés à gérer à la fois sa création, l’analyse de son œuvre et son marketing. Il y a des périodes où la vente directe, basée sur l’image, peut être efficace. Cependant, pour construire une carrière sur le long terme et s’inscrire dans les institutions, je doute qu'un artiste puisse réussir seul. Bien sûr, il est possible de vendre ses œuvres en tant qu’artiste, mais sur la durée, je reste plus réservé. Les galeristes apportent une véritable valeur ajoutée dans ce processus.

Ngalula MAFWATA : Quels artistes, tendances, vous inspirent en ce moment ?

Christophe PERSON : Les artistes qui parviennent à réinventer l’existant m’inspirent beaucoup. À l’instar des artistes porteurs du black portraits se sont saisi du mouvement pour le redéfinir. Peu d’artistes font des natures mortes qui sont pourtant très courantes dans les musées. L’artiste Fally SENE SOW, au Sénégal a commencé à faire des créations sans vouloir faire des natures mortes et finalement se sont retrouvées être des natures mortes. Il a réinventé le genre, à sa manière qui dans la culture occidentale notamment à travers les vanités suggèrent la fin de la vie pour leur donner une interprétation contraire, celle de la renaissance. D’une culture à l’autre les symboles ont une signification opposée dans le cas présent le crâne par exemple associé à la mort en Occident lorsque SENE SOW voit dans la décomposition, la promesse d’un nouvel écosystème qui naît.

Je suis aussi admiratif des artistes qui interrogent la transmission de leur histoire, le déracinement et la transition. Le travail de l'artiste burkinabé Abou SIDIBÉ, par exemple, explore les bouleversements liés aux déplacements, qu’ils soient de la campagne à la ville ou inversement. Ces œuvres reflètent les questions universelles sur les choix de vie : ai-je bien fait de partir ? Qu’ai-je gagné ou perdu dans ce mouvement ? Ces artistes illustrent magistralement ce cheminement personnel et collectif. On se rend compte que nous avons les mêmes questionnements de Ouagadougou à Paris.

Galerie Christophe Person, 39, rue des Blancs Manteaux