In Conversation : Malick WELLI présente Forgotten Paradise : PASSAGE
Né en 1990 à Kaffrine, au Sénégal, le photographe Malick Welli explore les territoires sacrés de la mémoire, de la spiritualité et des forces invisibles qui nous lient à travers le temps et l’espace. Ancrée dans les profondes traditions orales, le mysticisme et la culture visuelle de son pays natal, la pratique de Welli transcende les modes de représentation conventionnels en interagissant dynamiquement avec des récits qui interrogent l'héritage spirituel et culturel noir.
Dans cette interview, et dans le cadre du black History Month, Malick revient sur son parcours artistique, son dernier projet Forgotten Paradise: Passage (Paradis Oubliés), et la puissance transformatrice du rituel en tant que moyen d'introspection personnelle et catalyseur de guérison collective—une invitation à reconsidérer le passé et à imaginer de nouvelles perspectives.
Maria YIGOUTI : Comment décririez-vous votre parcours artistique, de vos premières influences à votre pratique actuelle ?
Malick WELLI : Mon parcours artistique est façonné par la mémoire, la spiritualité et les forces invisibles qui nous connectent au-delà du temps et de l’espace. Ayant grandi au Sénégal, j’ai été immergé dans les traditions orales, le mysticisme et une culture visuelle qui fusionne harmonieusement le sacré et le quotidien. La photographie est devenue mon mode d’exploration de l’identité, du sentiment d’appartenance et de l’histoire. Avec le temps, ma pratique a évolué en une fusion de la mise en scène photographique et de l’installation, me permettant de construire des récits visuels qui interrogent les thèmes du déplacement, de la résilience et de la transformation. Mon travail va au-delà de la simple documentation pour créer des compositions immersives et mises en scène qui évoquent à la fois la mémoire collective et la réflexion personnelle.
Maria YIGOUTI : Pouvez-vous nous présenter votre dernier projet Forgotten Paradise: Passage, et expliquer comment il s’inscrit dans l’ensemble de votre œuvre ?
Malick WELLI : Forgotten Paradise: Passage, créé en collaboration avec la réalisatrice Charlotte Brathwaite, explore le déplacement, la résilience spirituelle et la mer à la fois comme témoin et métaphore. L’œuvre se déroule sous forme de vignettes—des figures s’embrassant, adoptant des positions d’autorité, lâchant des colombes et faisant voler des cerfs-volants sur fond d’océan Atlantique. Ces gestes offrent une manière alternative d’aborder les traumatismes historiques, en privilégiant la résistance, le renouveau et la mémoire. Le projet prolonge mon exploration continue des traditions spirituelles noires et du rôle du rituel dans la réappropriation de notre pouvoir.
Maria YIGOUTI : Les rituels émergent comme des actes de résilience et de défi spirituels dans votre travail. Comment vos performances et cérémonies transforment-elles les traumatismes historiques en un espace de guérison collective et de renouvellement spirituel ?
Malick WELLI : Plutôt que de représenter directement le traumatisme historique, mon travail cherche à créer un espace de restauration spirituelle. Les rituels tels que la purification, l’offrande et le vol deviennent des actes de défi contre l’effacement. Les images capturent des moments de transition—l’eau versée sur la tête d’une figure, un bateau élevé vers le ciel, des ailes attachées à un corps—chaque symbole invoque la mémoire et crée un pont entre passé et futur. Ces performances activent l’espace entre l’histoire et les possibles, offrant des gestes de guérison qui transcendent le temps.
Maria YIGOUTI : Les rites dans votre œuvre, comme la purification ou le baptême sur le rivage, révèlent une profonde révérence pour la descente et le renouveau spirituel. Comment l’iconographie rituelle transmet-elle les thèmes de la résilience et de la transcendance ?
Malick WELLI : L’eau est centrale dans mon travail, non seulement comme site de traumatisme historique mais aussi comme espace de renouveau. L’acte de submersion, de purification ou de portage d’eau signifie la renaissance, l’endurance et la connexion à la sagesse ancestrale. De même, la présence du vol—des figures tenant des colombes, élevant des bateaux ou incarnant des formes ailées—représente la transcendance, une manière de concevoir la libération au-delà des limites physiques et temporelles. Ces métaphores visuelles réimaginent la résilience comme bien plus qu’une simple survie ; elles suggèrent une transformation et une élévation spirituelle.
Maria YIGOUTI : Quelle est la signification derrière la position de vos sujets, souvent tournés dos au spectateur ?
Malick WELLI : L’acte de tourner le dos est à la fois un refus et une invitation. Cela résiste au regard voyeuriste, protège le sujet tout en déplaçant l’attention du spectateur sur le geste lui-même. Dans Passage, les figures tournées vers la mer créent un espace de contemplation—que voient-elles, se rappellent-elles ou invoquent-elles ? Leur positionnement libère le sujet du fardeau de la représentation, permettant à l’œuvre d’interagir avec une présence au-delà de la visibilité.
Maria YIGOUTI : Comment votre travail favorise-t-il la croissance individuelle tout en nourrissant un sentiment collectif de force et d’appartenance au sein de la communauté ?
Malick WELLI : Je perçois mon travail comme à la fois personnel et collectif. Bien que profondément introspectif, il est toujours en dialogue avec un héritage plus large des traditions spirituelles et culturelles noires. En engageant le rituel, l’eau et le mouvement, mes images offrent des espaces où la réflexion individuelle rencontre la guérison collective. Les thèmes que j’explore—le déplacement, la résilience et la transcendance—sont personnels mais universellement résonnants, invitant les spectateurs à se voir eux-mêmes dans ces récits d’endurance et de renouveau.
Les travaux de Malick WELLI sont à découvrir sur www.malickwelli.com, Artsy et ses espaces personnels.