In Conversation : Nana Yaw ODURO, conte la masculinité contemporaine

Ancrée dans un lien profond entre la mémoire et les lieux, la photographie de Nana Yaw ODURO se déroule tel un poème visuel contant l’enfance masculine — une expérience profondément personnelle avec une résonance universelle. Ses images, à la fois intimes et bouleversantes, dépeignent l’enfance comme un voyage d’exploration continu à la découverte de soi, façonné par l’histoire personnelle, les souvenirs et le lexique visuel de son environnement. Son approche saisit des moments d’introspection, d’innocence et de défi subtil, chaque cadre étant chargé d’une énergie à la fois silencieuse et puissante.

Né en 1994 et basé à Accra, Nana a rapidement acquis une reconnaissance internationale. Son travail a été présenté dans The New York Times et lui a valu le People’s Choice Award et le titre de Photo London x Nikon Emerging Artist of the Year (2022). Dans cette interview, et dans le cadre du Mois de l’Histoire des Noirs, Nana réfléchit à son langage artistique, à l’évolution de la photographie africaine et à la résonance intemporelle du storytelling à travers l’image fixe

Maria YIGOUTI : Votre photographie a évolué grâce à un jeu sophistiqué de couleurs, de lumière et de portraits intimes de vos sujets. Pouvez-vous nous parler de l’évolution de votre pratique artistique et de la manière dont elle reflète votre parcours ?

Nana Yaw ODURO : J’ai toujours décrit mon art comme un miroir de moi-même—plongeant dans l’enfance, l’âge adulte et le chemin vers l’acceptation de soi. Pour moi, l’art est intrinsèquement progressif, et cette évolution est évidente dans ma pratique. J’ai constaté un changement dans mes priorités, en particulier dans la profondeur que je cherche à transmettre.
J’ai commencé avec la poésie, mais au fil du temps, je me suis senti attiré par une forme d’expression plus visuelle. Je pensais que cela rendrait mon travail plus accueillant et engageant, car j’ai compris que les gens sont souvent plus enclins à regarder qu’à lire. Au cœur de mes images, c’est ma poésie qui est visualisée.

Maria YIGOUTI : Vos décors sont essentiels dans votre récit, riches en symboles culturels et en iconographie intime. Comment abordez-vous la symbiose entre souvenirs et lieux pour nourrir votre pratique artistique et orienter votre thématique ?

La mémoire joue un rôle fondamental dans mon travail, reflétant mon parcours depuis mes débuts jusqu’à aujourd’hui. Chaque expérience et chaque leçon que j’ai vécues forment la base de mon art, nourrissant continuellement son évolution. Comme la plupart des gens, je puise dans mes souvenirs, revisitant des moments passés pour inspirer et affiner mes idées.

Quand je parle de « lieu », je fais référence à mon environnement et mes alentours, qui servent de toile de fond à mon travail. Ces éléments sont cruciaux dans la formation de mon identité et de mes croyances sociales, constituant la base de tout ce que je connais. Une grande partie de mon œuvre est créée dans ces environnements, ce qui la rend profondément significative pour mon processus créatif. L’art semble naître naturellement, émergeant là où tout a commencé.

Maria YIGOUTI : Votre travail établit un équilibre subtil entre impulsion naturelle et organisation minutieuse des éléments visuels. Comment harmonisez-vous la planification et l’instinct dans votre processus créatif, et quel impact cela a-t-il sur les œuvres que vous produisez ?

Nana Yaw ODURO :Mon approche est fondamentalement instinctive, et cela se reflète dans mon travail. Je ne planifie pas toujours méticuleusement mes créations ; l’inspiration survient souvent de manière imprévisible. Cependant, il existe des éléments clés—comme le choix du sujet, la création du décor et l’obtention des accessoires—qui sont essentiels au processus, comblant l’écart entre la conceptualisation et l’exécution.
Sur place, je me laisse aller à l’improvisation pour briser les barrières rigides que j’aurais pu créer pendant la phase de planification, ce qui permet un flux créatif plus fluide et expressif. Ainsi, la planification initiale me permet d’être plus libre et spontané pendant la séance photo.

Maria YIGOUTI : Comment la visibilité de la photographie africaine a-t-elle évolué ces dernières années, et selon vous, quelle a été la force motrice de sa montée en puissance sur la scène mondiale ?

Nana Yaw ODURO : Ces dernières années, grâce à la portée d’Internet, la splendeur de l’art africain a touché un public beaucoup plus large, gagnant en importance au sein de la communauté artistique mondiale. Le monde peut désormais profiter de la richesse qui nous entoure, y compris l’art unique de la photographie africaine.
Je suis convaincu que la photographie africaine a toujours été sur une trajectoire ascendante, comme en témoigne la diversité des styles et l’unicité des artistes—des maîtres classiques aux pionniers contemporains. La différence, cependant, réside dans la visibilité—amplifiée par Internet et les plateformes de soutien. Les recherches historiques montrent qu’il y a toujours eu des photographes africains remarquables et des maîtres de cet art, mais leur exposition était entravée par les circonstances du passé. Pourtant, nous avons toujours été là. Nous avons toujours existé.

Maria YIGOUTI : Considérez-vous la photographie comme un outil essentiel de préservation culturelle, et comment, selon vous, joue-t-elle un rôle dans la documentation et la sauvegarde de l’histoire et du patrimoine ?

Nana Yaw ODURO : La photographie a joué un rôle crucial dans la préservation et la documentation d’une grande partie de notre culture et de notre histoire. Son importance dans le monde est indiscutable, offrant un témoignage visuel de ce qui a existé autrefois et de ce qui perdure aujourd’hui. Je suis fermement convaincu, et je pense que beaucoup seraient d’accord, qu’il n’existe pas de meilleur outil pour la préservation culturelle. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas négliger ni manquer de reconnaître.

Les travaux de Nana Yaw ODURO sont à découvrir sur Artsy, Afikaris et ses espaces personnels.