Ruben en Reportage fait briller le Kasaï et intérroge la diaspora congolaise
RUBEN EN REPORTAGE , LE RÉCIT DE L’ÉTÉ , par Ngalula MAFWATA
Nous partons aujourd'hui à la rencontre de Ruben NYANGUILA KAPIAMBA plus connu sous le nom de Ruben en Reportage qui à travers ses récits imagés nous fait voyager au Kasaï au Congo et bien au delà. Son oeuvre est un carnet de voyage qui fait l’éloge des provinces et de ses savoirs-faire hérités et alors que les tendances démographiques tendent à l’opposé, vers l’urbanisme. À travers les courts récits et histoires qu'il rédige pour accompagner ses clichés, c'est tout un pan tait de la société congolaise qu’il documente. Il souhaite revaloriser l'image du village auprès de ses habitants pour commencer mais également de la diaspora avec qui il entretient des liens rapprochés de part et d’autres parties du monde, désireuse de renouer avec ses racines. Du haut de sa jeune vingtaine, Ruben nous confie l’origine de son oeuvre et futures aspirations et alors qu’on lui prédit déjà une grande destinée.
M.A: Peux-tu te présenter ?
R.K: Je m’appelle Ruben Kapiamba, je vis actuellement à Mbuji-Mayi (première ville de la région) où j’ai grandi et dont je suis originaire. Mes parents et moi avons dû nous déplacer et quitter la ville suite à la crise alimentaire de 2009 pour venir s’installer au village en Lomani (ex Kasai-Oriental). Étant quelqu’un qui aime l’aventure, j’ai beaucoup aimé cette période où j’ai pu découvrir une manière de vivre différemment et par la même occasion découvrir le village de ma mère. J’ai aimé la simplicité et surtout la proximité, l’abondance et vivre au rythme des saisons agraires et des activités de la communauté. Chaque mois, nous avions des réunions de prières dans les villages voisins, ce qui a nourri ma passion pour le voyage étant un grand observateur et ayant le goût de la nouveauté à cette époque déjà.
M.A: Quelle a été ta première expérience avec la photographie ?
R.K: J’ai un ami qui possédait un studio photo et faisait des portraits et projets commerciaux. C’est grâce à lui que j’ai commencé à découvrir la photographie et à prendre mes premiers clichés. Très vite j’ai eu l’impression de pouvoir me débrouiller et de prendre de bonnes photos. Au même moment j’ai commencé à être actif sur les réseaux en particulier Facebook qui venait d’arriver. J’aidais les personnes de ma communauté à créer leur page Facebook et se familiariser avec les usages de la plateforme assez nouvelle à l’époque. C’est là que j’ai commencé à faire des rencontres avec des personnes de la diaspora. J’avais toujours été intéressé par l’aspect artistique de la photographie que j’ai par la suite combiné au journalisme: raconter des histoires, faire découvrir des mondes par l’image, changer les regards. À cette époque une personne que j’avais rencontré en ligne me dit au court d’une conversation: n’attends pas, si tu veux être journaliste, tu peux l’être tout de suite, ce que je n’ai compris que plus tard. J’ai donc commencé alors à documenter mon quotidien au village. J’ai réalisé mes premiers clichés à l’aide de mon téléphone que je partageais régulièrement. Dès le départ j’ai eu des réactions positives car c’était la première fois que le village était documenté de cette manière. Au départ, c’était une simple passion pour moi alors que nous vivions au village.
Après quelques dix années, Ruben et sa famille repartent en ville suite à une opportunité. Le jeune homme fini alors ses études secondaires et continue à alimenter sa passion et réaliser des clichés qui attire des regards curieux mais pas uniquement. Il se souvient en premier, les gens de la diaspora désireux de connaître davantage les villages d’origine de leurs parents tout en démystifiant ces provinces.
“C’était le premier objectif des photos, changer le regard des gens vis à vis du village, avoir un impact positif contrairement aux histoires que l’on a pu raconter dans le passé mêlant sorcellerie et occultisme. Aussi beaucoup de personnes préfèrent aller en ville plutôt que de s’aventurer au village en partie à cause de ces histoires négatives. Ces a priori négatifs, je les ai ressenti à mes débuts en particuliers au travers des messages que je pouvais voir en ligne. Cependant en persévérant et en mettant en avant les avantages et réalités auxquelles sont confrontés les régions rurales et sous un angle artistique, la tendance s’est inversée progressivement. “
“C’était le premier objectif des photos, changer le regard des gens vis à vis du village, avoir un impact positif contrairement aux histoires que l’on a pu raconter dans le passé mêlant sorcellerie et occultisme.”
Encouragé par les retours positifs et les demandes accrues, le jeune photographe prend la décision radicale de ne pas poursuivre ses études comme la majorité de son entourage et alors qu’on lui prédit un bon parcours : “À la place j’ai décidé de me consacrer à la photographie pour développer mon talent puis au cours de l'année qui a suivi j’ai pu acquérir une nouvelle caméra et un nouvel appareil photo afin de faire de meilleurs clichés. Durant ces années j’ai pu développer ma technique ainsi que ma plume.” Car ce qui différencie le travail de Ruben Kapiamba au delà de ses clichés ancrés dans le naturel, ce sont les textes et courts récits qui décrivent des scènes vie et transposent le lecteur sur place. Au Les images du jeune photographe continuent de prendre de l’ampleur de même que ses reportages : “Je fais voyager les personnes qui me suivent alors même que certains n'ont jamais mis les pieds au village. Je choisis de raconter des histoires selon mon angle et l'histoire des personnes vivant au village mais également partage le quotidien, les réalités et les aspects culturels de la vie au village. C’est ce que viennent trouver les personnes qui suivent mon travail.”
CRÉATEUR D’IMPACT
Prendre des risques, il n’en a pas eu peur et ne regrette certainement pas ses choix: “Aujourd'hui je suis content de faire ce que j’aime, partager ces histoires tout en travaillant avec des médias internationaux à la réalisation de reportages. Je partage à travers mes écrits les histoires originales qui n'ont pas encore été entendues à l’extérieur. Car j'ai tendance à penser que nos villages sont encore des paradis préservés où tout y est beau et naturel. Nous n’avons pas beaucoup de pollution, les thématiques de réchauffement climatique sont encore loin de nous. Il y a beaucoup d’espace et nous sommes en autosuffisance alimentaire grâce à l’agriculture. À travers mes clichés et reportages, le regard sur le village est en train de toucher les personnes vivant en ville mais également au delà, de la diaspora.”
En effet, suite à la découverte des reportages de Ruben Kapiamba, beaucoup de personnes ont ensuite décidé de venir sur place découvrir leur village, ce qui le rend particulièrement heureux: “C'est là qu’est ma joie, mais je continue de viser le niveau supérieur. Je suis jeune, je sais ce que je fais, je suis passionné et sais où je vais.
“J'ai tendance à penser que nos villages sont encore des paradis préservés où tout y est beau et naturel. Nous n’avons pas beaucoup de pollution, les thématiques de réchauffement climatique sont encore loin de nous. Il y a beaucoup d’espace et nous sommes en autosuffisance alimentaire grâce à l’agriculture. À travers mes clichés et reportages, le regard sur le village est en train de changer les personnes vivant en ville mais également au delà, de la diaspora.”
Au départ, pas tout le monde a apprécié que je n’aille pas à l’université par exemple et que c’était de la folie. Mais c’est ma folie à moi, c’est ma voie, j’ai décidé de faire comme cela. Je n’ai pas emprunté la voie conventionnelle mais ai choisi d’apprendre par moi-même. J’apprends, je m’instruis, je fais mes recherches sur internet, j’apprends. Avec le temps ils ont fini par comprendre. Mais de façon concrète, j’ai vu les gens de la diaspora venir à ma rencontre en ligne et dans l’anonymat au départ afin de réaliser des reportages. Avec le temps j’ai aussi vu des personnes de la diaspora venir par dizaines, après avoir vu mon travail. Ils prennent leur courage et décide de rentrer au village. Certains même viennent pour entreprendre dans leur village maintenant qu’ils sont familiers avec.
M.A: Quels sujets te passionnent ?
RK: Mon principe dans la vie c’est qu’il y a toujours du nouveau. Il y a toujours du nouveau même dans les choses du quotidien auxquelles personne ne prête attention. J’aime montrer les détails, sans filtre. Par exemple les femmes. Dans les différents villages j’observe les femmes, leurs activités, comment elles sont considérées. Il y a des villages où les femmes travaillent et se font de l’argent, d’autre non. J’ai un oeil artistique sur ce plan là, j’essaye toujours d’interpeller et d’attirer l’attention sur ces petits détails que l’on ne remarque pas mais qui constituent notre identité, nos valeurs à nous en tant qu’Africains, congolais.
RK: Le problème aujourd’hui c’est que les gens fuient le village, ils veulent vivre ailleurs, en ville la plupart du temps. Au Kasaï, les gens partent dans d’autres villes ou régions voisines comme le Katanga. C’est quelque chose qui m’attriste, il faut aimer sa communauté. Cependant dans la majorité des cas, les gens au village ont du mal à valoriser leur environnement, réaliser des projets pour leur communauté, tout ce qui les intéresse c’est de partir s’installer en ville. D’où mon idée de faire des expositions photos au village ou évènements culturels pour faire une prise de conscience citoyenne. Montrer ses clichés serait comme un examen de conscience, un effet miroir, voir sa réalité sous un angle artistique cette fois.
“J’essaye de voir comment les gens vivent et ont des richesses artistiques naturelles. Certains ont des compétences créatives qui pourraient les amener à s’épanouir voire changer leur mode de vie dans la communauté. Je suis quelqu’un de sensible ce qui fait que même dans mes photos c’est un défi de prendre sur moi lorsque face à certaines situations. Où lorsque je vois quelque chose de beau; qui a été crée et fabriqué avec des matériaux locaux qu’il s’agisse d’art ou autre. Des travaux impressionnant mais qui ne sont pas mis en valeur car tout le monde a le regard tourné vers l’extérieur. À mon niveau, faire des photos, c’est contribuer changer de regard sur le village.”
Partir
Sur le sujet de l’exode, l’avis du photographe est sans équivoque : “La majorité des gens a cette idée qu'il faut partir car il y a toujours mieux ailleurs. Les images et vidéos influencent beaucoup je pense. Avec l’arrivée des smartphones, ceux qui vivent en dehors du village ont pris l’habitude de ne partager uniquement ce qui est beau, de haut standard. Cela a crée une influence avec comme message que la vie y est bien meilleure. Pourtant il y a des réalités que l’on ne montre pas forcément à la télévision, dans les photos, sur les réseaux.”
M.A: Comment tu l’explique ?
RK: J’aime bien regarder l’histoire pour mieux comprendre les choses. Nos ancêtres ont toujours vécu dans leur terre d’origine, où ils travaillaient pour la communauté. Ils étaient très créatifs également dans les arts comme en témoignent les masques, les tableaux, les oeuvres d’art qu’ils nous ont laissé. L’industrialisation a marqué un tournant dans notre histoire avec un nombre grandissant de personnes délaissant la vie du village pour aller travailler. Beaucoup de personnes sont aujourd'hui dans cette configuration, ayant pour héritage l'industrialisation. Leur grand-parents sont partis travailler pour les industriels, construire des chemins de fer, dans les mines de diamants et autres matières premières en échange de chemises et un peu de sucre et qu’on leur donnait. Les gens ont commencé à quitter le village et abandonner les habitudes liées à ce mode de vie. Cultiver la terre, se lever tôt, tout cela été délaissé au profit du travail industriel. Un beau matin cependant les industries se sont arrêtées mais ce n’est pas pour autant que ces personnes sont retournées au village car elle l'avait pris d'autres habitudes de vie et donc retourner village était différent.
À la place, ils ont traversé et sont partis dans d’autres villes. Aujourd’hui c’est une question d’état d’esprit. Aujourd'hui nous ne sommes plus trop créatifs car on nous a appris à travailler pour les gens instinctivement c’est ce que l’on a fait. Être ingénieux et créer quelque chose ça on a plus le temps pour ça. C’est un état d’esprit, on aime la facilité, on veut aller chercher là où les autres ont déjà tout fait. Donc si les gens trouvent que c'est mieux ailleurs c'est un état d'esprit qui ne date pas d'hier qui ne date pas d’aujourd’hui; ça date d'il y a longtemps.
Aspirations
”En tant qu’artiste je suis parti ailleurs, et j’ai vu que le Congo est notre maison à tous, peu importe là où on se trouve c’est chez nous, c’est notre maison. Il ne faut pas se limiter aux frontières des régions, non, nous sommes des congolais et le Congo est notre maison.”
C’est maintenant des milliers de personnes qui à travers le monde suivent ses reportages et le jeune photographe ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Plus de reportages mais également des expositions, Ruben ne minimise pas les projets : “Avant de penser l'exposition photos au village je pensais d'abord faire une exposition pour les gens de la diaspora, ailleurs, je reste ouvert aux possibilités” confie-t-il.
RK: Je considère le Congo comme ma maison ce qui fait que je ne travaille pas uniquement au Kasaï et ai eu la chance de travailler dans d'autres provinces et villages. À chaque fois j’ai été bien reçu et ai eu le sentiment d'être chez moi au delà des différences de langues.” Des expériences rassurantes pour le photographe qui rappelle le fléau du tribalisme fréquent dans le pays. “En tant qu’artiste je suis parti ailleurs, et j’ai vu que le Congo est notre maison à tous, peu importe là où on se trouve c’est chez nous, c’est notre maison. Il ne faut pas se limiter aux frontières des régions, non, nous sommes des congolais et le Congo est notre maison.”
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
RK: Je suis plein d’inspirations dans tout ce que je fais. Mais il m'arrive aussi de prendre des photos et de les garder pendant jusqu'à un an avant de les publier et de commencer à écrire. Je peux rester un mois sans prendre de photos où alors je n’ai pas d’inspiration. Un jour une personne m’a dit: Si tu veux être artiste, si tu veux faire quelque chose pour ta communauté, tu peux le faire maintenant, n’attends jamais demain. C’est une phrase qui m’a transformé. Si tu veux être ce que tu veux être, tu peux l’être dès maintenant. Comprendre qu’il était possible de faire des choses dès maintenant, sans attendre demain mais de le faire aujourd’hui, c’est une forme de motivation pour moi, un déclic, celui qui m’a ouvert les yeux et que je continue d’appliquer.
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