Nord Kivu, dans l’Étau d’un conflit : avec Eugide Lalé Mbunda, Directeur de mission au Congo

Quelques semaines après la fin de l’exposition Nord-Kivu : dans l'étau d'un conflit, présentée à la Galerie Anglia, nous rencontrons Eugide LALÉ MBUNDA, chef de mission Première Urgence Internationale dédié à la DRC ainsi que Amal HUART chargée de communication pour un entretien exclusif. Du haut de ses plus de dix ans de terrain à l’international - principalement sur le contient africain - nous confit plus sur les rouages de l’ONG ainsi que les enjeux auxquels fait face l’est de la RDC actuellement. 

MA: Quelles sont les principales réussites de Première Urgence Internationale dans la région du Nord-Kivu depuis le début de vos interventions ?

Eugide LALÉ MBUNDA : Nous sommes Première urgence internationale, une ONG indépendante dédiée à la gestion de crise. Nous intervenons au Congo RDC depuis maintenant plus de vingt ans, en particulier dans l’Est du pays au Nord Kivu.

Amal HUART : Nous agissons selon une approche intégrée des besoins, selon les dégâts premiers physiques et matériels mais également sur ce ce qui ne se voit pas. Nous apportons un soutien psychologique à la population avec en priorité les personnes porteuses de risques. À travers ce soutien psychosocial, nous essayons de garantir un minimum d’accès à ces prises en charges. Tout en étant tributaires des financements que nous recevons qui nous permettent par moment de rester sur place plusieurs mois pour un suivi et parfois un peu plus. Ce qui est crucial lorsque l’on parle des traumatismes vivants et intergénérationnels qui se jouent. 

MA: Quelles sont les changements remarqués constatés depuis le début de vos interventions ?

ELM : À Walikale, au Nord-Kivu, nous travaillons sur la récupération des coûts pour que les centres de santé puissent couvrir leurs propres frais de fonctionnement. Malheureusement, ils reçoivent peu de soutien de la part du gouvernement et des centres de santé locaux. Actuellement, la crise du M23 représente une menace sérieuse pour la région et pourrait annuler tout le travail réalisé, obligeant à nouveau les populations à se déplacer. C’est un défi dévaluer l’impact de notre action sur le terrain, reconnaît le chef de mission. Cependant, il y a aussi des aspects positifs. Dans les zones stables, comme l’ouest du territoire de Masisi, nous avons soutenu 13 centres de santé en améliorant la gestion des médicaments, le flux de patients, et la qualité des soins. Grâce à cette autonomie acquise, nous avons pu réduire notre personnel local et réaffecter ces ressources vers des zones plus en besoin. Nous intervenons désormais uniquement en supervision, ce qui fait partie de notre méthode de travail. La stabilité est essentielle pour maintenir ces efforts. Nous plaidons régulièrement auprès du gouvernement pour obtenir leur soutien, afin que les ONG ne soient pas les seules à aider les populations en détresse.


MA: Comment se mesure l’impact positif de vos actions  depuis votre arrivée ?

ELM : L’impact est là, il existe. Ce n’est pas parce qu’il y a de l’instabilité que nos actions ne sont pas visibles. Concernant les victimes violences sexuelles et violences basées sur le genre, nous avons des témoignages positifs de personnes qui sont encore déplacées à l’heure où nous échangeons et qui toutefois expriment une différence, un changement comparés à lorsque nous les avons rencontrées. Elles sont parvenues à retrouver un équilibre sur plans mental et émotionnel suite  à l’accompagnement psychosocial que nous mettons en place. L’impact est présent, il nous faut le pérenniser en instaurant la stabilité de ces régions toutefois. Nous faisons face à des personnes qui doivent se déplacer à plusieurs reprises et qui ne retrouvent pas l’équilibre physique lorsque beaucoup désirent uniquement retourner dans leur village. En prenant l’exemple de Goma, nous avons des personnes qui se sont déjà déplacées une dizaine de fois avant d’arriver à Goma qui demeure le dernier point de chute pour ces populations car demeurant à la frontière Est du pays. Il s’agit de leur terminus, au coût même de  leur vie.

Première Urgence Internationale est en action au Congo depuis maintenant 12 ans, crédit Hugh Kinsella CUNNINGHAM


MA: Quels sont les défis auxquels vous faites face en RDC particulièrement ?


ELM : Il faut faire la différence  entre une crise liée à une crise sanitaire ou catastrophe naturelle et une crise plutôt structurelle. Aujourd’hui en RDC nous avons les deux malheureusement. Avec des zones touchées par les conflits armés avec la présences de groupes comme le M23 à l’Est ou encore de forces armées en Ituri, Sud Kivu mais nous avons également d’autres besoins liés à l’échec du développement et un manque de moyens déployés de la part du gouvernement. Il y.a également un manque de recevabilité de la part des dirigeants en place dans pas mal de pays dont la RDC ce qui bout à bout contribue à l’aggravation de crises. Aujourd’hui nous assistons aux déplacements de populations et quand les populations retournent chez elles car la stabilité y est revenue, il n’ya pas de services disponibles. Personne ne prend réellement d’initiatives et il faut le dire les forces gouvernementales vont beaucoup se reposer sur les ONG humanitaires, mais pour combien de temps ? L’humanitaire est un devoir, mais nos gouvernements doivent également prendre leurs responsabilités. C’est le chainon manquant afin d’établir une réelle politique de sortie à succès. 



MA: Comment impliquez-vous les autorités locales et les communautés dans vos missions humanitaires en RDC ?

ELM: Durant tout le processus de mission, nous impliquons les autorités locales afin de les tenir aux faits du déroulement de nos interventions à commencer par l’évaluation des besoins initiaux. C’est une manière de les impliquer et de susciter leur intérêt lors de notre sortie du projet afin qu’ils puissent prendre le relai et le pérenniser. Dans ce sens, nous nous appuyons beaucoup sur le pouvoir des communautés locales sans l’implication du gouvernement auprès duquel nous demander uniquement stabilité. La stabilité nous permet d’assurer un meilleur fonctionnement des centre de santé par exemple. Nous avons mis en place les Comités de Santé au sein de chaque centre de santé avec une direction structurée établit afin de veiller au bon fonctionnement de chaque centre. Ils vont par exemple décider de l’affectation des ressources ce qui allège la dépendance au gouvernement et garanti une autonomie.



MA : Quels sont vos principales sources de fonds, comment assurez-vous l'indépendance et la neutralité de votre ONG ? 

ELM : Nos bailleurs institutionnels incluent notamment l’Union Européenne, ainsi que les contributions d'autres pays via des mécanismes de financement comme le Centre de crise et de soutien du Ministère des Affaires Étrangères Français, qui fournit des fonds dédiés aux missions humanitaires. Des pays comme les États-Unis, à travers USAID, sont également des acteurs et soutiens majeurs. Il est important de noter que le Congo attire beaucoup d’intérêt en raison des enjeux géopolitiques, bien que d’autres régions comme le Soudan, Gaza ou le Nigeria pourraient nécessiter autant, sinon plus, de fonds pour gérer les crises humanitaires. Nous basons nos actions et demandes à ces bailleurs sur l’évaluation des besoins locaux, ce qui nous permet de maintenir notre indépendance et neutralité en tant qu’ONG.

Portrait de femme déplacée dans l’Est du Congo, au Nord-Kivu, crédit Hugh Kinsella CUNNINGHAM



MA : Qu’en est-il des organismes et associations africaines ? 



ELM : Aujourd’hui nous n’avons pas de mécanismes de financements émanant de pays africains, il faut dire qu’il en existe peu. Cela reste un chantier pour Première Urgence Internationale en tant qu’organisation. Fin Juin, nous avons envoyé une équipe en Afrique de l’Ouest afin de rencontrer la direction de la Banque Africaine de Développement, la CEDEAO ou encore l’UA afin d’examiner quels mécanismes pourraient conjoindre PUI. Nous sommes intentionnels. Je me souviens lors de mon temps en tant que chef de mission au Nigéria par exemple, je rencontrais bon nombre de fondations comme la fondation Aliko Dangote pour ne citer que celle-ci car le Nigeria reste un pays avec une base économique en Afrique. Ce sont ce type d’initiatives que nous encourageons.



MA : Outre l’Est du Congo, où internerez-vous ?

ELM : Nous sommes également implantés à Kinshasa où nous nous engageons dans la lutte contre le VIH et les IST en particulier dans la commune de N’Gaba qui est frappée par un problème d’hygiène et d’assainissement. Il y règne une certaine pauvreté qui pousse les jeunes filles à se donner pour survivre et payer leurs produits de première nécessité tels que les bandes hygiéniques. Nous travaillons donc avec les jeunes filles et garçons afin de les sensibiliser aux dangers et conséquences engendrés par ma prostitution et la drogue afin de les sortir de ces engrenages. Nous appelons des jeunes qui s’en sont sortis pour témoigner. Nous travaillons en parallèle avec un partenaire local sur cette question d’hygiène de la ville sous le prisme environnemental à travers notamment la gestion des déchets. 



MA : Comment est née votre engagement humanitaire ?

ELM : Je suis originaire de l’Est de la RDC et depuis trente ans nous avons connu un cycle de crises humanitaires. J’étais à Goma en 1994 lorsqu’il y a eu un afflux de déplacés entre 500 et 1 million de personnes à l’époque. Être témoin direct de ces mouvements et de l’arrivée des premières ONG m’a particulièrement sensibilisé. Suite à la fin de mes études, je suis retourné à Goma et c’est en 2012 que j’ai commencé mon activité en étant déployés dans de nombreux pays notamment Haïti, le Niger, la Centrafrique, Sud Soudan, Mali, Nigéria et même le Tchad. J’ai décidé de retourner au Congo en Novembre 2023 pour en faire profiter la communauté humanitaire au Congo de mes expériences à l’international tout en connaissant bien le contexte de la RDC. C’est la seule chose que je peux faire. Je trouve du sens dans ce que je fais au quotidien, en tant que Congolais. Nous avons aujourd’hui près de 300 personnes et une trentaine d’expatriés dédiés à cette mission répartie sur une dizaine de projets. C’est aujourd’hui un honneur pour moi d’en faire partie. 



“Chaque réduction de fonds réduit notre capacité à aider. Nous appelons à la contribution pour fournir des soins de santé aux déplacés, assurer la protection des camps et offrir un suivi psychosocial.”



MA : Quels conseils et recommendations auriez-vous à partager à quiconque souhaite soutenir Première Urgence International au Congo ?

ELM : Nous sommes limités par les moyens, l'accès sécuritaire et routier. Dépendre uniquement des bailleurs institutionnels ne suffit pas, nous avons besoin de fonds flexibles et appelons au volontariat. Actuellement, notre plan financier pour 2024 n'est financé qu'à 24%. Chaque réduction de fonds réduit notre capacité à aider. Nous appelons à la contribution pour fournir des soins de santé aux déplacés, assurer la protection des camps et offrir un suivi psychosocial. Plus de fonds nous permettent de mieux couvrir les besoins et d'avoir un impact positif sur l'humanité.


MA : Quels facteurs motivent vos équipes sur le terrain ?

Pour nos équipes sur les terrains, nous avons de bons retours ce qui motivent les équipes. Nous ne réalisons pas toujours cet impact que nous avons sur les personnes. Ne serait-ce que de voir le sourire d’une personne qui deux jours auparavant était fermée, c’est ce qui nous motive également chez Première Urgence Internationale

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