In conversation : Nedia WERE ou la beauté de l’Afro-Optimisme
Né en 1989 au Kenya, Nedia Were est un artiste visuel contemporaine autodidacte dont l'œuvre défie les conventions traditionnelles en explorant les complexités multiples de l’identité africaine et afro-diasporique à travers une maîtrise du pigment noir. Puisant son inspiration dans les paysages tropicaux luxuriants de son enfance, son travail instaure un dialogue évocateur visant à revaloriser et réinterpréter la narration de la culture noire. À travers le prisme de l’Afro-optimisme, Were propose une réflexion poétique sur la beauté et le potentiel infini ancrés dans son héritage.
Nedia WERE, Credit : Paragon Timelapse
Dans cette interview, et dans le cadre du Mois du Black History Month, Nedia Were exprime les courants profonds qui traversent son parcours artistique – une quête à la fois personnelle et une affirmation culturelle plus large. Chargée de sens, son œuvre est un appel à un avenir marqué par la fierté, la force et un lien inébranlable avec ses racines.
Maria YIGOUTI : Comment décririez-vous votre parcours artistique, de vos premières influences à votre situation actuelle ?
Nadia WERE : J’ai grandi avec mes grands-parents, tous deux enseignants. Mon grand-père, professeur d’arts plastiques et d’artisanat, ramenait chaque soir des projets scolaires à la maison. L’un d’eux, une affiche représentant les différentes parties du corps humain accompagnée d’un journal, m’a particulièrement marqué. Le regarder esquisser ces figures me procurait une joie profonde – un sentiment qui ne m’a jamais quitté. Ce fut ma première rencontre avec la figure humaine en tant que sujet artistique.
À l’adolescence, j’ai commencé à peindre des enseignes commerciales pour gagner un peu d’argent. Ce travail a en quelque sorte jeté les bases de mon futur parcours. À l’époque, on me demandait souvent si je pouvais réaliser des portraits. Même si cela me semblait intimidant, j’ai décidé d’essayer. J’ai découvert la technique du quadrillage sur YouTube, ce qui m’a permis d’améliorer mes compétences et de prendre confiance en moi.
Lorsque j’ai déménagé à Nairobi, j’ai commencé à côtoyer des étudiants en art issus d’universités, de collèges et de collectifs artistiques. C’est à ce moment-là que j’ai remarqué une réaction intrigante face à mon travail : j’utilisais fréquemment du noir dans mes lettrages et d’autres éléments, et ces étudiants me demandaient pourquoi. On leur avait enseigné que le noir n’était pas une couleur à utiliser en peinture. Cette question a éveillé ma curiosité et m’a poussé à rechercher l’histoire de ce pigment dans l’art, ainsi que les raisons de son exclusion des palettes traditionnelles, alors même qu’il avait toujours été au cœur de mon œuvre.
“Mon travail participe au dialogue sur la culture noire et sa représentation en mettant en avant non seulement l’identité africaine, mais aussi l’Afro-optimisme.”
C’est ainsi que j’ai découvert Kerry James Marshall, un peintre américain dont le travail intègre souvent du pigment noir pour représenter la figure humaine. Son approche m’a profondément touché. Inspiré par son œuvre, j’ai commencé à expérimenter davantage avec le noir dans mes compositions. Auparavant, j’utilisais plusieurs couleurs pour représenter mes figures, mais l’étude du travail de Marshall a changé mon regard. Plutôt que de me concentrer uniquement sur la lutte et la résilience, j’ai cherché à illustrer mes figures de manière plus positive et valorisante. Kerry James Marshall est devenu l’une de mes plus grandes influences, tout comme d’autres artistes trouvent leur inspiration chez Vincent van Gogh, Paul Gauguin ou Picasso. Son œuvre, et le cheminement qu’elle a suscité en moi, m’ont aidé à redécouvrir la puissance de ma propre voix en tant qu’artiste.
Mshere Na Vana, Nedia WERE
“Plutôt que de me concentrer uniquement sur la lutte et la résilience, j’ai cherché à illustrer mes figures de manière plus positive et valorisante”
Maria YIGOUTI : Comment veillez-vous à ce que l’authenticité reste au cœur de votre démarche artistique ?
Nadia WERE : Je veille à rester fidèle à mon parcours et à ne jamais perdre de vue la raison pour laquelle j’ai commencé à peindre. Cette ancre me donne la confiance nécessaire pour continuer à explorer et à raconter les histoires encore méconnues de nos communautés, sans me laisser influencer par les critiques extérieures.
Maria YIGOUTI : Le regard et la posture de vos figures reflètent-ils leur caractère – invitent-ils, défient-ils, ou les deux à la fois ?
Le regard dans mes figures est un point focal qui invite le spectateur à s’engager personnellement et à créer un espace propice à l’introspection.
Maria YIGOUTI : Qu’est-ce qui vous pousse à capturer vos portraits sous le voile brumeux du crépuscule, dans une lumière minimale ?
Nadia WERE : Je trouve que le moment précédant l’installation complète de l’obscurité est particulièrement paisible, permettant à mes figures d’apparaître détendues et presque empreintes de révérence. Plutôt que de suivre une approche colorimétrique figée, je me laisse guider par la curiosité, laissant émerger les teintes de manière organique. Cette interaction entre lumière minimale et crépuscule crée une atmosphère de réflexion silencieuse, renforçant la profondeur émotionnelle de mes portraits.
Maria YIGOUTI : Votre iconographie florale offre-t-elle une relecture de l’Éden, et si oui, comment se relie-t-elle aux notions de croissance et d’identité ?
Nadia WERE : La nature est un motif récurrent dans mon travail, ancré dans mon enfance passée dans l’ouest tropical du Kenya, où j’ai développé un profond lien avec les plantes. Mon iconographie florale ne vise pas explicitement à réinterpréter l’Éden, mais elle représente un espace symbolique de transformation, d’adaptabilité, de mort et de renaissance. En plaçant mes figures dans ces environnements, j’explore des thèmes tels que la spiritualité, l’identité et l’interconnexion entre l’individu et la nature. Ainsi, mon travail reflète les notions de croissance et de construction de soi, soulignant la relation en constante évolution entre l’être humain et son environnement.
Maria YIGOUTI : Comment parvenez-vous à transmuter le pigment noir en une matière lumineuse, établissant un contraste éthéré qui enrichit la composition plutôt que de l’alourdir ?
Nadia WERE : Mes figures ne sont pas simplement peintes en noir uni. En expérimentant, j’ai découvert que, comme toutes les couleurs, le noir possède une infinité de nuances. En superposant ces variations, je crée un contraste qui fait émerger la figure du fond sombre, produisant un effet de mise en lumière délibéré – un choix totalement intentionnel dans mon travail.
The Serpent and the Fruit, Nedia WERE
Maria YIGOUTI : Comment votre travail s’inscrit-il dans le dialogue actuel autour de la culture noire et de sa représentation ?
Nadia WERE : Mon travail participe au dialogue sur la culture noire et sa représentation en mettant en avant non seulement l’identité africaine, mais aussi l’Afro-optimisme. Il célèbre la beauté, la résilience et le potentiel illimité des cultures africaines et afro-diasporiques. Plutôt que de centrer la lutte ou les récits néocoloniaux, mon art amplifie la richesse de ces expériences à travers des histoires de joie et d’innovation. Pour moi, l’optimisme est une vision tournée vers l’avenir – une perspective qui imagine un futur porté par la fierté, la beauté et la force, enraciné dans un profond attachement à notre patrimoine et à nos récits.
“Mon iconographie florale ne vise pas explicitement à réinterpréter l’Éden, mais elle représente un espace symbolique de transformation, d’adaptabilité, de mort et de renaissance. ”
Maria YIGOUTI : Comment percevez-vous votre travail comme un vecteur de croissance individuelle tout en renforçant un sentiment de force collective au sein de la communauté ?
Nadia WERE : Je vois mon travail comme un moteur de croissance individuelle en incitant à un engagement profond avec des thèmes tels que la joie, la beauté, la fierté et la résilience – en particulier pour les publics noirs, qui retrouvent dans mes œuvres une représentation authentique de leurs réalités et de leurs aspirations, rarement mises en avant dans les espaces contemporains dominants. Cette évolution suscite également une reconnaissance croissante de la part des institutions artistiques et des communautés, qui accordent désormais plus d’attention à nos récits et aux voix diversifiées des artistes noirs. En retour, cette visibilité nourrit une force collective en créant des récits visuels puissants qui affirment et célèbrent les identités et les expériences noires.


Nedia Were est actuellement en pleine phase de création d’une nouvelle série d’œuvres, qui sera dévoilée lors d’une exposition solo très attendue dont la date sera dévoilée prochainement.
Retrouvez les travaux de Nedia WERE auprès des galeries Mitochondria Gallery, Eclectica Contemporary Gallery ainsi que sur ses espaces personnels.