Yann KWETE, KUB’ART: Identité et transmission. Regards sur l’Art contemporain du CONGO.

Tout commence par une idée, un rêve, mais surtout une envie. Celle de vouloir raconter le Congo à travers ses artistes, artisans et acteurs de changement, ceux qui ont quelque chose à dire. Telle a été l’origine de l’épopée de Yann KWETE, fondateur et commissaire de la galerie KUB’ART lancée en 2021. Trois années plus tard, il se confie sur les fondations de son aventure, la scène artistique et culturelle du Congo, ses challenges et alors qu’il a une grande vision pour l’art au Congo. Point fort de AKAA 2023, KUB’ART dont le nom s’inspire directement du Royaume éponyme compte bien redonner ses lettres d’or à l’art contemporain du Congo. Interview sans filtre.

Propos recueillis par Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA, MAYÌ-ARTS : Qu’est-ce qui t’as inspiré KUB’ART ?

Yann KWETE : Mon influence vient de mes racines ancestrales, mon ethnie, le Royaume Kuba qui est reconnu pour ses immenses richesses culturelles et artistiques à travers ses pièces rares, ses masques, tapis et symboles. C’est l’essence même de mon héritage artistique et spirituel. De nos jours, nous avons tendance à oublier qui nous sommes, mon rôle est d’inviter le publique à penser comment reconstruire nos imaginaires ancestraux afin de préserver la mémoire culturelle. C’est une invitation à la réconciliation d’un peuple africain avec sa culture ancestrale dans un contexte culturel de mondialisation.

“Il est important pour nous de documenter, d’archiver pour transmettre à une future génération. L’identité d’un peuple réside dans son histoire et traditions, sa spiritualité.”

À l’Origine.

MA : Quel est ton rapport avec la scène artistique ?

YK : À l’origine, j’ai un penchant pour les cultures hip hop et urbaine. Je suis un passionné des arts contemporains et ai fait les Beaux-Arts de Kinshasa en graphisme avant de me rediriger vers le marketing. À l’origine de ma reflexion, il y a cette idée qu’il est primordial qu’en tant que congolais , nous puissions raconter notre histoire. Dans le passé, nous avons eu tendance à ne pas considérer sérieusement l’art et délaisser ses métiers peu considérés si l’on compare avec les voies classiques.

MA : Comment est-ce que tu t’es lancé ?

YK : Lorsque j’ai lancé le festival Kin-Graff à Kinshasa en 2013, personne ne comprenait ni la démarche ni ne voulait y être programmé rires. L’ironie fait qu’aujourd’hui nous pouvons voir des organisations comme l’Institut Français organiser des ateliers autour du graffiti. Le graffiti en Afrique c’est la critique sociale, dénoncer les réalités en utilisant l’espace publiques et les fresques comme objecteurs de conscience dans les sociétés. Je me dis que quelque part cela a porté ses fruits depuis puisque nous sommes maintenant à plus de dix ans d’existence.

“il est cohérent et authentique qu’aujourd’hui nous congolais ou même africains puissions raconter nos histoires”

MA : C’était donc là la genèse de KUB’ART ?

YK : Le déclic, je l’ai eu en 2015 avec comme idée initiale de localiser et référencer en ligne avec un cousin, toutes les oeuvres du Royaume Kuba, à travers les musées et collections. La vision a évolué pour finalement aboutir à KUB’ART en période de Covid avec une première exposition digitale. Depuis, nous avons continué à travailler sur d’autres projets, en allant de rencontres et prospections, qu’il s’agisse de AKAA, d’expositions à l’international mais aussi des projets monumentaux au pays, des façades murales et installations de rue.

MA: Quels ont été les challenges rencontré en chemin ?

YK : Nous avons des artistes congolais qui aujourd’hui s’exportent à l’international, le problème se situe davantage au niveau structurel. Il y a un cruel manque d’intérêt des autorités publiques lorsque l’on parle d'artistes peintre, sculpteurs, photographes qui fait en sorte qu’aujourd’hui ce mouvement a du mal à s’ériger en RDC. On aura tendance à favoriser d’autres segments culturels tels que la musique et le sport avec la rumba et le football. Pour arriver à une société qui élève son soft power, ce sont toutes les disciplines qui doivent entrer en jeu. Il ne faut pas faire deux poids deux mesures.

Le Congo, une position particulière.

MA : Et il y a-t-il une forme d’évolution ?

YK : Oui. Il y a actuellement un grand changement avec tout le travail qui a été mis en place par les acteurs locaux en RDC. Je n’ai rien contre tous ces gens qui sont venus au Congo auparavant et y ont fait un travail remarquable, notamment le Congo Kitoko de Magnin avec la Fondation Cartier en 2015. D’autres acteurs sont venus ajouter au rayonnement de l’art congolais à l’international ce qui fait en sorte qu’aujourd’hui il y ait cet engouement visible. Il est cohérent et authentique qu’aujourd’hui nous congolais ou même africains puissions raconter ces histoires.

MA : Dans ce contexte, quel rôle opère KUB’ART ?

YK : La mission de Kub’Art est de mettre en avant cette créativité contemporaine africaine et exposer le travail des artistes africains et afro-descendants pour apporter notre pierre à l’édifice alors et palier aux manquements. Les foires comme AKAA, 1-54 ont su créer une réelle plateforme de

visibilité pour faire rayonner la créativité contemporaine africaine, avec des artistes congolais, du Cameroun, du Mali, Senegal, Ghana et qui arrivent à se positionner sur le plan international.

MA : Justement si l’on compare avec ces pays voisins, le développement semble différent pour le Congo, comment l’expliquer ?

YK : Il faut déjà rappeler que le Congo est un pays continent avec ses différents dialectes et problématiques. Kinshasa c’est vingt millions d’habitants, le Congo cent et nous manquons d’espaces et d’infrastructures. Nous devons créer des évènements mais également que l’autorité publique accompagne les artistes, développer des collections privées nationales, soutenir les collectionneurs... Tout cela ne fera que donner du poids aux artistes locaux. Cela demande bonne volonté et une certaine autorité. Il nous faut des personnes qui maitrisent cet aspect, qui comprennent les artistes et les enjeux autour de cet éco-système.

Un potentiel culturel indéniable.

MA : De ton point de vue, il y a-t-il des efforts mis en place ?

YK : À ce jour, les artistes n’ont toujours pas de statut légal, le projet de loi visant à mieux les encadrer n’est toujours pas passé alors (Projet présenté en Octobre 2023 visant notamment à reconnaitre juridiquement les artistes, faciliter leur administration entre autres, ndlr) Il nous faut résoudre ces type de problèmes pour commencer afin de poser les bonnes bases. Cela nécessite des personnes prêtes à réfléchir ensemble à ces questions de fond pour définir la vision de la politique culturelle du Congo pour les dix à quinze prochaines années, constituer un réel soft power. Je crois qu’avec une réelle politique culturelle et les formations adéquates, nous pourrons faire de l’art et la culture des leviers conséquents pour soutenir l’économie du pays au même titre que le tourisme.

MA : Ces groupes existent-ils actuellement ?

YK : En silo, rien qu’en prenant mon exemple. Il ne faut pas sous estimer l’aspect auto-centré où chacun veut avoir la lumière à travers ses projets. Rires. beaucoup ont tendance à travailler en isolation en comparaison avec d’autres communautés qui ont la collaboration facile. Nous n’avons pas encore totalement cette culture et devons combattre cela si nous voulons voir la culture congolaise rayonner. Je pense que c’est possible.

MA : Ce projet semble revêtir plusieurs formes

YK : L’enjeu est de mettre en avant le rayonnement des artistes africains, congolais en particulier, suivre leur développement et les accompagner. Documenter le travail des artistes alors qu’ils s’ont en train de l’accomplir. Dans les années à venir, la deuxième phase de KUB’ART est de mettre en place une collection privée d’art antique et d’y présenter les éléments symboliques de l’art Kuba. Il s’agit de briser les anciens cycles sans perdre son héritage. Se ré-approprier le pouvoir de la narration. Décoloniser notre manière de voir les choses.

Mission

Au delà d’une simple galerie, KUB’ART porte une mission de vie alors que Yann Kwete envisage d’instiguer de la médiation culturelle et une meilleure éducation artistique à travers la mise en place de programmes et activités dans le futur. À ce sujet, le fondateur insiste, il faut : “Initier les plus jeunes à nos cultures et masques par exemples, faire comprendre aux gens leur origine au delà du mysticisme afin de contribuer au rayonnement en général à l’art en RDC. ”

Nous avons la chances d’avoir aujourd’hui des institutions; l’Académie des Baux Arts de Kinshasa par exemple qui fait un grand travail dans ce sens, les gens commencent à comprendre aussi. Je me considère comme un échantillon, je crois qu’il y a des gens qui sont meilleurs que moi qui ont tellement envie de montrer ce qu’ils font, mener des actions, c’est juste qu’ils n’ont pas eu les opportunités que j’ai pu saisir pour montrer ce travail. Il y a encore beaucoup de travail et d’efforts à fournir et de l’accompagnement avant de vraiment observer un changement radical, la volonté y est cependant. La Diaspora, nous pouvons avoir de l’impact en nous unissant. C’est à nous de faire bouger les mentalités en voyageant aussi au pays et en mettant en place des activités. Progressivement les choses vont se faire.

AKAA et End of Transmissions

MA : Comment cela se manifeste dans le quotidien de KUB’ART ?

YK : Notre mission est d’accompagner les artistes en amont, leur toute sorte de soutient y compris matériel car nous n’avons pas toujours des matériaux de qualité sur place. Nous avons également développé Kub’Arts advertising, centrée sur les campagnes marketing telle que la campagne d’aménagement d’espace avec Hennessy. Multiplier les partenaires nous permet également de participer à des foires comme AKAA (cette année AfriCell a accompagné KUB’ART, ndlr) resserrer les liens avec les collectionneurs et amateurs d’arts qui vont suivre la galerie. C’est aussi comme cela que l’on croise nos futurs collaborateurs et partenaires qui pourront nous accompagner sur cette aventure.

MA : Cette année la foire était centrée autour de la pratique curatoriale, comment s’est mis en place le projet présenté ?

YK : Rachel MALAIKA est une artiste avec qui je travaille depuis longtemps notamment la série sur les racines ancestrales pour laquelle nous avons utilisé la collection de mon grand-père étant descendant de la famille royale Kuba. Prisca MUNKENI également photographe a une expression particulière et brut de ses emotions que j’apprécie. Quant à Eddie BUDIONGO, cela fait maintenant des années que nous nous connaissons. J’aime son travail de reconnections entre l’ancien et la nouvelle génération.

Ensemble, nous avons monté ce projet, End of Transmission, qui est un projet long qui ne s’arrête pas à AKAA. Le projet met en conversation le travail de ces trois artistes et donne à réfléchir à comment briser les cycles sans perdre son héritage et pouvoir se ré-approprier la narration existante, s’émanciper des stigmas. L’idée est de monter des projets thématiques et curatoriaux qui racontent une histoire. Des projets qui nous parlent et qui sont ancrés dans nos cultures et que l’on arrive à défendre scientifiquement car fondés sur un travail de recherche. C’est une démarche que nous souhaitons préserver chez KUB’ART. C’est rare de voir des galeries qui viennent de Kinshasa représenter des artistes Congolais; il y avait donc une certaine fierté pour nous.

MA : Comment vois-tu cette année 2024 ?

YK : L’ambition cette année c’est de continuer sur cette lancée et de multiplier opportunités en fonction de nos moyens et dispositions. Il y a également d’autres projets locaux sur Kinshasa avec des partenaires afin de lancer certaines initiatives toujours dans l’optique de mettre en valeur et donner l’opportunité à nos artistes de montrer leur art. À côté je ne laisse pas de côté pour autant la scène urbaine avec notre festival annuel de street arts qui reviendra et pas mal d’aitres projets qui vont se mettre en place durant l’année.

MA : Pour conclure, quels sont tes coups de coeurs et talents que l’on ne connait pas encore et que tu aimerais partager ?

YK : Kinshasa regorge de talents, c’est une scène en développement constant en ce qui concerne la créativité . Je travaille avec un jeune artiste muraliste Eliam MUPIPI avec qui nous avons travaillé sur le projet avec Hennessy, il est extraordinaire.

Il y a tellement d’artistes talentueux qu’il est difficile d’en sélectionner quelques-uns cependant ce qui m’importe réellement est l’authenticité de la démarche, comment l’artiste voit les choses tout en regardant son travail et comment on peut l’aider. Je me suis d’ailleurs limité pour AKAA. De cette manière nous sommes plus à même d’accompagner chaque artiste à son développement sur le long terme. C’est possible au delà de tout ce qui se passe au Congo, il y aussi des initiatives positives que nous pouvons montrer à l’étranger. Montrer que le Congo il y a des conflits mais c’est également la créativité, la culture. Nous sommes les ambassadeurs de ce pays!