In Conversation : Anastasie LANGU LAWINNER ou la résilience incarnée

Née en 1992, Anastasie LANGU LAWINNER est une artiste photographe originaire de la République Démocratique du Congo. Autodidacte et militante dans l’âme, elle se sert de l’image pour donner un visage aux injustices, celles vécues par les femmes mais aussi de son pays qu’elle a quitté il y a maintenant deux ans. Au travers de clichés fort en contraste, Anastasie LANGU LAWINNER trace son destin elle qui en est convaincue, il s’agit de sa prophétie.

Anastasie LANGU LAWINNER

Anastasie LANGU LAWINNER

Dans cet entretien, Anastasie Langu Lawinner nous livre son parcours, marqué par une volonté de réussir inébranlable face à l’adversité. Elle retrace ses débuts et son cheminement jusqu’à son arrivée en France en 2022. À travers son travail, intense et intimiste, Anastasie nous invite à regarder nos réalités sans artifice, avec une sincérité brute.

Ngalula MAFWATA : Quelles ont été les premières influences qui ont façonné vos débuts artistiques ?

Anastasie LANGU LAWINNER : Je suis artiste visuelle depuis huit ans, ayant débuté en autodidacte par la photographie. Mon intérêt est né en 2016, après une visite dans le studio d’un ami musicien qui possédait un appareil photo. Intriguée, j’ai voulu comprendre son fonctionnement et celui de la photographie. Cependant, n’ayant pas fait d’études dans ce domaine, il m’a été difficile de trouver quelqu’un pour m’enseigner. On me décourageait même de m’y investir sérieusement. Ces refus ont pourtant renforcé ma motivation : révoltée, j’ai décidé de me former seule, en explorant et en apprenant grâce aux ressources en ligne. À cette époque, je voyais la photographie comme un terrain de jeu, une découverte sans contrainte. Je partageais quelques clichés en ligne, sans véritable démarche, simplement guidée par mon instinct et mon plaisir. Mes camarades de droit, intrigués, me posaient souvent des questions, mais je restais évasive, encore en pleine exploration. Je garde une immense gratitude envers mon ami musicien, qui m’a prêté mon premier appareil et m’a soutenue en me fournissant du matériel au fil de mes progrès


La photographe entame alors un travail d’exploration tout en partageant en ligne ses avancées. Un jour alors, elle publie une nouvelle série de photos qu’elle pressent différente. C’est une confirmation puisqu’un ami l’encourage à participer à un appel à projet pour atelier qu’elle remporte à sa grande surprise. Elle y rencontre le photo-journaliste Joseph MOURA qui va l’accompagner durant cette période, l’invitant avec bienveillance à réfléchir à ses motivations et à sa démarche artistique.


À l’origine, j’avais choisi le droit pour faire du pro bono et défendre les personnes ayant un accès limité aux systèmes judiciaires. Joseph MOURA m’a justement encouragé à transposer cette volonté de défendre dans mon travail artistique : non plus derrière le barreau, mais derrière l’objectif. Il m’a vivement incité à approfondir l’idée derrière cette série de photos pour en faire le sujet d’une exposition.
— Anastasie LANGU LAWINNER

Malheureusement l’exposition n’aura pas lieu mais la graine était désormais plantée dans l’esprit de l’artiste photographe. Anastasie LANGU continue alors ses recherches et sujets d’études tout en réalisant quelques séries de photos. 


Ngalula MAFWATA : Créer naît souvent d’une idée ou d’une expérience. Dans votre cas, vous avez toujours eu cet instinct de défendre ceux qui subissent l’injustice. Est-ce un combat que vous avez vécu personnellement ? Car, si nous en sommes tous témoins au quotidien, rares sont ceux qui s’engagent réellement

Anastasie LANGU LAWINNER : Je pense que l’on naît avec cet instinct, cela ne se force pas. Être leader, activiste, militant, c’est naturel. Tout le monde n’a pas l’âme de s’intéresser à ce que les autres subissent. Cela brûlait en moi, mais je n'avais pas encore les moyens ou la profession pour l’exprimer. C’est ma rencontre avec la photographie qui a révélé cet aspect de ma personnalité. Je suis née comme ça.


Ngalula MAFWATA : Le noir et le blanc sont omniprésents dans vos clichés 

Anastasie LANGU LAWINNER : L’esthétique est au coeur de mes clichés. J’aime faire se contraster le noir et le blanc, parfois le noir domine et j’ajoute de la couleur. C’est ma manière de m’exprimer. Je vais peut-être faire des nuances entre la main qui tient la bouche de la femme pour montrer que cette main oppressante et la femme en arrière plan plus sombre pour montrer qu’il y a une différence, ou alors cette femme est en noir pour exprimer l’inconfort de sa position. Ces nuances facilitent la lecture de l’image. 

Anastasie LANGU LAWINNER

Ngalula MAFWATA : Qu’en est-il des femmes ?

Anastasie LANGU LAWINNER : Le premier sujet de mes œuvres, c’est moi-même. J’extériorise mes émotions. En tant que femmes, nous sommes souvent habituées à vouloir toujours en faire plus. Même dans le milieu artistique, dominé par la présence masculine, les femmes se sentent obligées de prouver leur valeur. Quand je suis arrivée dans la photographie, je sentais que l’on ne me voulait pas, surtout moi qui n’avais pas fait de formation dans ce domaine ni aux Beaux-Arts. En tant que femme, dès que tu cherches à faire plus, cela dérange. Ce que j’extériorise est commun à beaucoup de femmes. Par exemple, ma série Voile montre une femme subissant des injustices et des discriminations, cachée derrière des éléments qui la rongent et la détruisent.

J’ai vécu ces expériences. J’ai dû faire face à des situations inconfortables et à des limitations, car la société, mon entourage et ma famille m’ont fait comprendre qu’il y avait des limites à ne pas franchir en tant que femme : tu dois te marier, avoir des enfants, et ne pas chercher à être une leader ni à exceller dans ce que tu fais. C’est ce côté sombre de la vie des femmes que j’ai voulu mettre en lumière avec cette série.


Ngalula MAFWATA : Ces limitations extérieures sont-elles encore présentes ? 

Anastasie LANGU LAWINNER : Bien sûr, mais sous une forme différente, un peu comme la censure. Maintenant que je suis immigrée en France, les limitations peuvent sembler moins importantes en comparaison, mais je dirais qu’elles ont simplement pris une nouvelle forme.

Anastasie LANGU LAWINNER : Ngayi est un projet qui regroupe tout mon travail autour des femmes, et avec la reprise de la guerre à l’est, j’ai ressenti le besoin de rendre hommage à ces femmes. Je voulais montrer au monde que la situation chez moi est insupportable, que la femme est utilisée comme arme de guerre, à travers le viol. La femme, c’est aussi les enfants, ensemble ils sont les premières victimes de la guerre. Ces femmes doivent survivre, elles n’ont pas le choix, mais on leur a ôté le droit de vivre paisiblement. Avec cette exposition, j’ai voulu interroger et dénoncer la situation actuelle de mon pays. C’est une réalité qui me bouleverse profondément, et je n’ose imaginer ce que vivent les personnes sur place, qui subissent cette guerre depuis maintenant trente ans.

Anastasie LANGU LAWINNER

Anastasie LANGU LAWINNER

Ngalula MAFWATA : La photographie est un art intimiste. Comment parvenez-vous à mettre en confiance vos sujets ?

Anastasie LANGU LAWINNER : Il y a pas mal d’autoportrait dans mes photographies et les personnes que je photographie font en général partie de mon entourage qu’il s’agisse de famille  proche ou amis. Je comprends que ce n’est pas facile d’exposer une partie de son corps, ni même de montrer son visage, surtout dans un contexte de violence. Les personnes que je photographie ont parfois vécu ces situations ou souhaitent participer à la mise en lumière de ces sujets. La confiance est essentielle. Et si je ne la trouve pas, je suis mon propre sujet ! Rires

Ngalula MAFWATA : Se prendre comme sujet demande un certain lâcher-prise…

Anastasie LANGU LAWINNER : Quand je me prends en photo c’est une performance, j’écoute mon âme et mes émotions. Si je veux pleurer ou être triste je le fais. Je me laisse aller aux émotions de la femme que je veux incarner. 

Anastasie LANGU LAWINNER


Ngalula MAFWATA : L’environnement peut avoir un impact fort dans la création, comment articulez-vous votre esthétique depuis votre arrivée en France ? Y a-t-il des éléments que vous avez laissés derrière vous au Congo, ou que vous avez exportés en France, et vice-versa ?

Anastasie LANGU LAWINNER : Mon inspiration a été coupée lors de mon arrivée en France. J’ai eu l’impression que ma connexion était soudainement rompue, et pendant un moment, je n’avais aucune inspiration. J’ai dû m’adapter à ce nouveau pays et à ses réalités quotidiennes, qui nécessitent des solutions concrètes. Toutes ces épreuves ont ralenti ma créativité au départ, mais aujourd'hui, après deux années en France, cela va mieux. Je suis dans une nouvelle phase où je commence à voir comment adapter ma création à mon nouvel environnement. En Afrique, je trouve qu'il y a une plus grande diversité. Que ce soit au Bas-Congo ou à Kinshasa, mes clichés raconteraient une histoire différente. En France, je me sens parfois limitée, mais je commence à puiser de nouvelles inspirations et sources de créativité, notamment à travers le mix média que j’ai commencé à explorer.


Ngalula MAFWATA : Qu’est-ce qui vous a poussé à explorer la ville de Moanda à travers la photographie, et comment votre travail met-il en lumière les contrastes et les injustices que vous y avez observés ?

Anastasie LANGU LAWINNER : Mon père est originaire du Congo Central, une région que j’aime particulièrement pour sa beauté et pour le fleuve. Quand on va à Moanda, c’est une ville fantôme. Les habitants vivent dans une région riche en pétrole, avec de nombreuses multinationales présentes, mais la vie y est presque inexistante. Il n’y a pas d’électricité, les gens dépendent des générateurs de pétrole détenus par ces grandes entreprises, et ils vivent dans une grande précarité malgré la richesse autour d’eux, les géants pétroliers et les banques. La population ne bénéficie en aucun cas de ces ressources.

L’hôtel Mangrove, jadis un cinq étoiles, est aujourd’hui en ruines depuis le départ des colons. On sent la présence de la vie d’autrefois, mais ce calme laisse un sentiment de vide. C’est pourquoi j’ai voulu explorer ce lieu à travers la photographie, plutôt que de me lancer dans un militantisme direct, ce qui peut être risqué, comme nous l’ont informé les habitants.

Je souhaite prolonger cette série avec une deuxième partie, cette fois en impliquant les habitants de Moanda. La situation de Moanda m’a profondément interpellée, d’autant plus lorsqu’on compare avec la ville voisine de Cabinda (Angola), qui, avec les mêmes ressources, a su trouver son équilibre et se développer. Moanda est un exemple de ville en ruine, marquée par les vestiges de la colonisation et de l’abandon.

Anastasie LANGU LAWINNER

Ngalula MAFWATA : À quoi ressemble la suite ?

Anastasie LANGU LAWINNER : J’ai à cœur de toujours partager mes connaissances. Par le passé, j’ai encadré des jeunes ainsi que des personnes handicapées, afin de leur transmettre des compétences et leur offrir la possibilité d’accéder à des métiers, car la société les ostracise souvent. Pour moi, il est essentiel de donner. Depuis mon arrivée en Europe, je me suis investie dans le projet Djiolifon, qui vise à créer des espaces de retraite pour les artistes, ainsi que des activités destinées aux femmes.

Ngalula MAFWATA : Qu’est-ce qui vous motive à continuer l’art et l’entrepreneuriat au quotidien ?

Anastasie LANGU LAWINNER : Je pense que c’est ma vision, ma prophétie. Je me dis toujours que je dois atteindre un certain niveau, cette prophétie vit en moi. Elle me permet de faire face à l’adversité, car qui dit prophétie dit aussi combat. Quand tu sais que tu es appelée à accomplir de grandes choses, il faut t’armer et être prêt à affronter des obstacles tels que le découragement ou la fatigue. Ma prophétie m’aide à persévérer dans mes moments de doute. De plus, en tant que maman, j’ai la chance d’avoir un entourage qui me soutient. La vision, la prophétie et la foi en soi sont des forces puissantes. Croire en soi est la clé du succès.

Les travaux de Anastasie LANGU LAWINNER sont à découvrir sur ses espaces personnels.

Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com
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