Godelive Kasangati KABENA, Stellenbosch Triennale Specials

Godelive Kasangati KABENA (née en 1996) est une artiste pluridisciplinaire qui s’exprime avec audace à travers la photographie, les installations et l’autoportrait. Originaire de la République démocratique du Congo, elle interroge régulièrement les perceptions et invite à de nouvelles perspectives, explorant les notions d’identité, d’objets et de collectivité. Dans le cadre de notre couverture spéciale de la Triennale de Stellenbosch 2025, elle ouvre les portes de son laboratoire créatif et présente Chumba—une œuvre qui incite le public à se concentrer sur l’acte de respirer.

Kasangati Godelive Kabena

Dans cette interview, Godelive Kasangati KABENA nous plonge dans son parcours artistique et ses réflexions. L'artiste congolaise incarne une affirmation de soi rare et sans compromis, qui résonne à travers l’ensemble de son œuvre.

MAYÌ-ARTS : Comment décririez-vous l’évolution de votre pratique artistique depuis l’intégration de la photographie ?

Godelive Kasangati KABENA : Mon travail ne se définit pas en termes de technique, peut-être puis-je plutôt parler du rôle que joue la photographie. J’ai découvert la photographie comme un outil essentiel en 2018, lorsque j’ai commencé à travailler sur une série d’autoportraits qui ont affiné ma relation avec moi-même et avec la dynamique familiale de mon enfance. Ce travail m’a amenée à interroger mon corps et l’appareil photo, qui se trouvait toujours face à moi, comme un corps à part entière. J’ai aussi réfléchi à la manière dont l’appareil photo oscille entre une imposition autoréférentielle et son rôle en tant qu’objet d’ordre, ce qui m’a poussée à repenser la façon dont le positionnement des corps peut toujours être un argument.

Chumba 2025, Kasangati Godelive KABENA, ©JumpinTheGun, Stellenbosh Triennale 2025

MAYÌ-ARTS : Il y a dans votre travail un équilibre entre l’individu et le collectif. The Made 5 Series en est une belle illustration. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette œuvre ?

Godelive Kasangati KABENA : Made 5, qui fait partie d’un travail sériel comprenant Made 1 à Made 11, a joué un rôle déterminant dans ce qui est devenu Mbwa, dont je parlerai plus bas. Cela tient à sa posture discursive, ancrée dans une réponse spéculative aux objets—ou ce que j’appelle des corps—qui ne se limitent ni à l’humain, ni à la pensée, ni aux entités physiques. Ainsi, Made ne peut nier l’ancrage émancipateur sur lequel il repose, car l’argument d’indexation spéculative impose la question de l’égalité axiomatique—une égalité qui ne peut être définie par la simple projection de nos pensées ou par les relations que nous entretenons avec des entités ou des corps, qu’il s’agisse de la production artistique ou d’une réflexion plus large.

De plus, la collectivité, comprise non pas comme un consensus, crée les conditions d’une multitude d’événements qui émergent précisément de l’impossibilité de définir ce qu’est réellement le collectif—du fait de la nature autoréférentielle des corps.

Made 5 (2022), Kasangati Godelive KABENA, Courtesy of the artist

MAYÌ-ARTS : La photographie semble être un prétexte pour explorer des sujets plus profonds, tandis que votre travail donne presque l’impression d’observer les résultats d’une recherche scientifique. Comment débute votre processus créatif ?

Godelive Kasangati KABENA : La photographie peut agir comme un point de départ qui, à un certain moment, ouvre un réseau de relations à l’image—des relations dans lesquelles elle s’inscrit elle-même. Les archives photographiques du chien Basenji en RDC, que j’ai découvertes en 2020, incarnent pour moi cette réflexion sur l’image. Elles dévoilent un imaginaire riche et complexe, en perpétuelle transformation, dont la nature volatile le pousse sans cesse à se réinventer.

MAYÌ-ARTS : En quoi la société influence-t-elle votre recherche sur l’avenir ?

Godelive Kasangati KABENA : Cette question m’amène à revisiter une phrase classique qui me semble toujours pertinente : « La vie quotidienne et l’art ne sont pas séparés. » Je ne peux pas définir de frontières claires autour des influences qui sont intrinsèquement enracinées dans la vie elle-même.

MAYÌ-ARTS : La série Mbwa (Chien) explore la notion de l’usage et de la reproduction des images. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Godelive Kasangati KABENA : La reproduction sérielle se situe à un moment où le futur est à la fois connu et remis en question par la reproduction elle-même—qu’il s’agisse d’image, de matière, de savoir, de forme, et plus encore. C’est là toute la contingence de la reproduction en tant que processus de production. Pour moi, la reproduction d’une image s’inscrit dans ce processus en raison de son orientation égalitaire, née de la prolifération d’images qui ont remis en question les musées et les cadres institutionnels. L’objet ne se limite plus à une existence singulière et authentique ; il devient omniprésent. De cette manière, la reproduction perturbe momentanément le centre. Karî’kạchä Seid’ou l’exprime bien en affirmant : « Les frontières sont nulle part, mais les centres sont partout. »

Cet égalitarisme proposé s’étend à ce qu’une image pourrait devenir. Cependant, une autre dimension émerge—celle où la reproduction non sérielle évolue dans un champ spectral. Ce n’est pas seulement un phénomène spectral, mais aussi une remise en cause des structures hégémoniques systémiques et de l’avenir prédéterminé qu’elles imposent.

Dans ce contexte, une image—conventionnelle et apparemment complète—dépend du regard du spectateur pour s’accomplir. Mais comment se transforme-t-elle en une image volatile, en perpétuel mouvement ? Je n’ai pas besoin d’images en tant que contenants figés ; j’ai besoin de fragments.

Ces fragments deviennent à leur tour des déclencheurs, issus de mon intérêt pour les corps des chiens—leur poids, leur vitalité, et bien plus encore. Cela offre, par exemple, un espace où l’image se libère de son statut d’ensemble cohérent pour devenir une constellation d’éléments. Ici, les questionnements spéculatifs autour des archives et de la présence des chiens dans ces documents deviennent un moyen d’analyser la dynamique de l’image et de sa reproduction.

Cela tient à sa posture discursive, ancrée dans une réponse spéculative aux objets—ou ce que j’appelle des corps—qui ne se limitent ni à l’humain, ni à la pensée, ni aux entités physiques.
— Kasangati Godelive KABENA

MAYÌ-ARTS : Quel rôle joue la notion de corps dans votre exploration artistique, en particulier en lien avec les thèmes de la reproduction, de l’égalité et de la post-humanité ?

Godelive Kasangati KABENA : Mon travail pourrait être ancré dans une posture discursive qui engage des réponses spéculatives aux objets—ou ce que j’appelle des corps—qui ne se limitent ni à l’humain, ni à la pensée, ni aux seules entités physiques. Ainsi, Made et Mbwa ne peuvent nier l’ancrage émancipateur sur lequel ils reposent, car ils sont façonnés par un argument d’indexation spéculative portant sur l’égalité axiomatique—une égalité qui ne peut être définie uniquement par les projections de notre pensée ou les relations que nous entretenons avec ces corps, que ce soit dans la production artistique ou au-delà.

Si l’égalité ne commence pas à partir de l’inégalité, alors il y a la question d’une position autoréférentielle où ces corps n’ont besoin d’aucune projection pour justifier leur relation avec eux-mêmes. Dans ce sens, la reproduction propose cela, comme mentionné précédemment, car la reproduction elle-même est anti-hégémonique. La post-humanité, en tant que terme générique, pourrait s’inscrire dans cet argument spéculatif qui nie la projection rationnelle sur les corps.

MAYÌ-ARTS : Quelles sont vos aspirations futures en termes de développement artistique et de nouveaux médiums que vous aimeriez explorer ?

Godelive Kasangati KABENA : Il est important pour moi de jeter un regard sur le travail que je produis ou ai produit, non pas en envisageant l’avenir comme un lieu d’opportunités, mais comme un espace où tout peut être remis en question.

La Triennale de Stellenbosch se déroulera jusqu'au 30 avril 2025 avec trois expositions. Pour en savoir plus sur Godelive Kasangati KABENA, rendez-vous sur Godelivekasangati.onfotomat.com.

MAYÌ ARTS

www.mayiarts.com

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